APPRENDRE EN S'AMUSANT
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L'histoire de la ludification
Publié le 18 juin 2021 – Source : Pédagojeux – Crédits
L’intelligence n’est pas comparable à un vase qu’il faille remplir mais à un feu qu’il faut allumer ; ce dont elle a besoin, c’est d’élan vers la recherche et de désir de la vérité.
Plutarque (46-125), Comment écouter
Erasme se questionne au XVIème siècle à propos des questions d’éducation et, prenant conscience de la puissance pédagogique du jeu, il explique qu’ »en toute chose, la plus grande partie du désagrément vient de l’imagination, elle qui parfois fait éprouver le mal, là même où il n’y en a pas. Le rôle du précepteur sera d’exclure par tous les moyens cette imagination et de faire porter à l’étude la marque du jeu (…) ; Car à cet âge, il est nécessaire de les tromper avec des appâts séduisants(1). » Cette approche, masquer pour mieux tromper, ne fonctionne pas dans les faits. Il vaut mieux au contraire miser à la fois sur l’intelligence de l’apprenant et la qualité du jeu. Néanmoins, elle importe car elle montre l’ancienneté des idées de pédagogie ludique et surtout concentre nombre de difficultés qui l’habitent.
(1) Erasme, De pueris (De l’éducation des enfants), 1529
On le voit, l’intérêt pour les différentes formes de jeu dans une perspective éducative n’est pas neuf. Cependant, il faudra attendre le XXème siècle pour que ces questions soient formalisées et prennent place dans les débats éducatifs grâce à une double impulsion. Celle des acteurs de la “Nouvelle Pédagogie” pour le volet pédagogique, et les écrits académiques de Johan Huizinga (Homo Ludens, 1938) et Roger Caillois (Les jeux et les hommes, 1958) pour le volet culturel. Ces derniers illustrant bien l’un des principaux écueils liés aux jeux en général et aux jeux vidéo en particulier, celui de l’association faite par notre culture du jeu à l’enfance, au puéril, au dérisoire, à l’inutile. S’ils sont tolérés lors des premières années de l’enseignement obligatoire, ils disparaissent très vite des bancs de l’école. À la manière de la bande dessinée acceptable pour initier à la lecture mais qui doit par la suite céder la place aux vraies livres sans images, les jeux se doivent de disparaître dès que l’enseignement devient sérieux.
Il faut donc attendre le début des années 1990 pour voir les jeux vidéo éducatifs se développer réellement et même rencontrer un important succès avec des stars comme Adibou (Coktel Vision, à partir de 1990) ou Carmen San Diego (Broderbund, à partir de 1985) : le ludo-éducatif est né ! Il reste néanmoins cantonné à des jeux simples, pensés autour d’un rapport scolaire au savoir à même de convaincre les parents, les véritables acheteurs.
Au début des années 2000, apparaissent les “serious games” et la gamification, auxquels on promet monts et merveilles, jusqu’à remplacer les enseignants. Après une dizaine d’années d’existence, surtout marquées par des annonces médiatiques et quelques expériences intéressantes, notamment celles portées dans l’espace francophone par ARTE ou Le Monde, la bulle se dégonfle et le manque de succès économique comme critique marque un retour à une utilisation de niche, principalement la formation interne des grandes entreprises. La montagne a accouché d’une souris avec un résultat au final très éloigné des promesses initiales, malgré plusieurs projets intéressants. Les créateurs ne sont pas forcément à pointer du doigt, la cause se trouve plutôt du côté du système mis en place. En effet, seules les institutions achètent ces jeux aux studios et elles arrivent souvent avec des cahiers des charges lourds en contenu, peu au fait des difficultés d’un processus de création long et coûteux d’un jeu vidéo, avec de plus un budget souvent trop faible pour rivaliser avec les jeux commerciaux classiques. Résultat, des jeux régulièrement boiteux, inaboutis techniquement et trop scolaires pour être efficaces. Ce dernier point illustrant sans doute le mieux l’erreur initiale du genre, l’impossibilité de surmonter la contradiction complète de l’oxymore “serious game”, comme un écho à Erasme cinq siècles plus tard.
La capacité de motivation
Publié le 18 juin 2021 – Source : Pédagojeux – Crédits
Choisissez un travail que vous aimez et vous n’aurez plus à travailler un seul jour de votre vie.
Confucius
A l’étiquette de “sage” revendiquée par les penseurs professionnels, les “sophistes” (spécialiste de la “sophia”, la “sagesse” en grec ancien) tant critiqués par Platon (428/427 ACN, 348/347 ACN), Socrate (470/468 ACN-399 ACN) préférait celle de “philosophe”, soit étymologiquement “celui qui aime la sagesse”, “celui qui tend vers la sagesse”. Tendre vers le savoir est un mouvement, un cheminement, une action perpétuellement renouvelée et continue plutôt qu’une acquisition passive. Cela demande donc une volonté de la part de l’apprenant, une motivation. Si pendant très longtemps la motivation à apprendre était évidente (trouver un métier, acquérir du prestige social, sortir de sa condition et s’élever dans la hiérarchie sociale, …), des décennies de crise économique, de remise en question des équilibres sociaux consécutifs à la Seconde Guerre Mondiale et d’échec scolaire ont profondément remis en cause cette motivation dans les pays occidentaux.
Tout jeu travaille de manière naturelle sur la question de la motivation, inhérente à sa nature. Il suppose en effet devoir la susciter perpétuellement auprès des joueurs pour que ceux-ci le pratiquent. Et, en plus de quatre décennies d’industrie, il a développé de nombreuses techniques et stratégies pour y arriver.
Tout abord, il fait sens, il donne du sens aux actions qui y sont réalisées. Pourquoi y apprendre les mécanismes de jeu et y agir ? Pour avancer dans le jeu, pour les retours que le jeu envoie aux joueurs comme les récompenses ou les plaisirs (visuels, sonores, …), pour la satisfaction de surmonter un problème et l’image valorisante qui en découle, pour découvrir l’histoire, …
L’histoire justement, car le jeu est un média profondément narratif. Même lorsque cela semble aller contre l’évidence avec un titre comme pour les jeux-vidéos tels que Tetris (Alekseï Pajitnov, 1984), le jeu vidéo raconte des histoires et en génère aussi parmi ses pratiquants qui n’hésitent pas à les échanger sur les plateformes sociales ou de vidéos en ligne. Cette nature narrative répond à une demande profondément humaine. Nous avons besoin d’histoire, notre mental structure souvent lui-même le réel en histoires pour le comprendre ou y adhérer(11). Le jeu narre avec d’autant plus de force que le joueur participe à la construction des histoires qui s’y déploient, avec plus ou moins d’impact selon les jeux.
(11) Comme l’ont très bien compris les conseillers en communication avec le “storytelling” ou l’art de transformer des idées abstraites en ressentis concrets par la grâce de la narration. Le président Ronald Reagan (1911-2004) a porté très haut cette manière de diffuser ses idées auprès de son public, arrivant à le convaincre même lorsque les intérêts de ce public étaient directement attaqués. Avec notamment cette histoire cent fois répétée, celle de la “reine des allocs (“Welfare queen”) qui roulait en Cadillac” à force de frauder les aides sociales. Dans lesquelles il fallait donc massivement couper. Et tant pis si ce personnage n’a jamais existé ailleurs que dans les notes des conseillers de Reagan. Les histoires nous parlent mais il importe de les mettre en perspective…
L'apprentissage par l'erreur
Publié le 18 juin 2021 – Source : Pédagojeux – Crédits
Seuls ceux qui prennent le risque d’échouer spectaculairement réussiront brillamment.
Robert Kennedy
Dans l’enseignement classique, le savoir est souvent perçu comme unique, à la fois point de départ et d’arrivée d’un cheminement rectiligne parcouru par l’apprenant. Au terme de ce cheminement, l’apprentissage sera évalué et de cette évaluation il résultera une conclusion binaire quant à son acquisition par l’apprenant : réussite ou échec. Avec pratiquement trois élèves sur cinq en retard suite à au moins un redoublement au terme du parcours scolaire obligatoire(6), la Fédération Wallonie-Bruxelles a placé l’échec ainsi que le redoublement au cœur de son système d’enseignement. Pourtant, il s’agit d’une impasse sur laquelle s’accordent toutes les études menées sur le sujet, aussi bien en termes humains, financiers que d’efficacité pédagogique.
(6) “Les indicateurs de l’Enseignement 2016”, consultable sur www.enseignement.be/index.php?page=0&navi=2264
C’est aussi profondément méconnaître l’importance de l’erreur dans le processus éducatif de découverte, de compréhension et d’acquisition.
Fondamentalement, l’échec n’existe pas dans un cadre pédagogique, seules des erreurs se manifestent durant un parcours et elles sont autant d’occasion d’apprendre ainsi que souvent la manifestation d’une indispensable curiosité. Tomber de son vélo lorsque l’on commence à le pratiquer est une expérience normale et, dans un cadre sécurisant, un apprentissage plutôt qu’un échec. Le droit à l’erreur constitue même probablement une des conditions nécessaires à l’apprentissage.
Dans la plupart d’entre eux, la logique de l’apprentissage des règles de l’univers et des moyens mis à la disposition du joueur passe par trois étapes : le tutoriel soit les premières minutes du jeu où sont exposées les commandes, la récompense qui valorise le joueur et le pousse à continuer, et surtout l’erreur. L’erreur sous toutes ses formes (mort, défaite, perte d’objets ou de capacités, …) constitue le cœur de l’apprentissage vidéoludique qui confronte le joueur et ses actions aux règles du monde du jeu, sanctionnant les erreurs mais sans jugement, sans limite de tentatives, sans conséquences matérielles (7) : sans tout ce qui fait que l’erreur est sanctionnée et dévalorise celui qui la commet. Vous voulez infiltrer silencieusement un complexe scientifique après avoir échoué à y entrer par la grande porte ? Vous préférez détruire le monde plutôt que de sauver ses habitants ingrats ?
(7) Il y a bien sûr des exceptions pour chacune de ces caractéristiques
Vous voulez changer la composition de votre équipe sportive après une terrible défaite ? Vous souhaitez créer une civilisation pacifique et vous faire élire président des Nations Unies après avoir perdu une guerre nucléaire ? Vous préférez vagabonder dans l’univers du jeu pour profiter de sa beauté plutôt que de résoudre sa quête centrale quitte à la faire échouer ? Tout cela est possible, il suffit de jouer une nouvelle vie, de recommencer sa partie ou de relancer sa dernière sauvegarde. La pédagogie de l’essai/erreur renouvelable à l’infini.
Plus fondamentalement encore, l’essai/ erreur fait partie intégrante du processus vidéoludique, il constitue sa forme la plus fréquente de compréhension des mécanismes du jeu. La série des Dark Souls (From Software, depuis 2011) par exemple fonde toute sa conception, son “game design”, sur une difficulté très élevée qui rend nécessaire pour les joueurs l’observation de chaque adversaire, potentiellement mortel, et la répétition des combats perdus en tirant les leçons des tentatives précédentes.Plus pacifique, Kerbal Space Program (Squad, 2011) place le joueur à la tête d’un programme spatial dont il doit gérer tous les aspects et pour espérer le mener à bien… au terme de nombreuses catastrophes explosives ! De manière très ludique et humoristique, les innombrables explosions font partie intégrante du jeu et constituent autant une “récompense” qu’une étape de compréhension des multiples stratégies possibles… inspirées par les véritables travaux des différentes agences aéronautiques internationales. D’ailleurs, la NASA a participé à la création d’une série de missions pour le jeu et l’éditeur estime que 7% de ses joueurs sont liés professionnellement à l’aérospatial8.
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